Bas de la page

Louis Charbonneau
UQAM

 

 

Monde arabe

La numération indo-arabe


Les fractions « ordinaires »

(Djebbar, A., Le traitement des fractions dans la tradition mathématique médiévale du Maghreb, Prébublications, Université de Paris-Sud, Mathématiques, 90-04)

Définition de fraction

En général, une fraction est « une quantité considérée dans son rapport à un tout pris comme unité. » (al-Kasi?)

Les traditions reliées aux fractions

  1. Le calcul indien, utilisant la planche à poussière.
  2. Le calcul sexagésimal, pour les astronomes.
  3. Le calcul digital, avec les mains et les doigts, dit le calcul arabe.
  4. Le calcul byzantin, dit le calcul romain.

Nomenclature des fractions

En ce qui concerne la façon de nommer les fractions, il y a deux grands types de fractions.

  • Les fractions ouvertes (ou simples) (1/n, 2 < n < 10), qui ont un mot propre.
  • 1/3 : tult ; 2/3 : deux tulta (On n'utilisait pas de symboles, seulement des mots)

    1/5 : hums ; 3/5 : trois humsa

L'usage de ce vocabulaire rendait au départ la manipulation des fractions difficile. C'est pourquoi la méthode digitale était importante. De même pour la méthode indienne, qui elle utilise un symbolisme.

  • Les fractions non ouverte (ou sourdes) (1/n, n >10) qui sont simplement décrites par une expression comme « trois de treize parties » pour 3/13.

De ces catégories primaires, Abu-l-Wafa (940-998) ajoute une autre classification:

  • Les fractions exprimables : combinaison de sommes et de produits de fractions ouvertes. N.B. On voit ici encore l'importance des fractions unitaires.
  • Dans le commerce, on rencontre parfois des transformations comme la suivante :

    49/60 = 45/60 + 4/60 + = 30/60 + 15/60 + 4/60 = 1/2 + 1/4 +(2/3)x(1/10)

  • Les fractions inexprimables : les autres comme les fractions de la forme 1/p où p est un nombre premier supérieur à 10.

Symbolisme (calcul indien)

Numérateur au-dessus du dénominateur, sans trait. Mais alors possibilité de confusion.

Un exemple :

3 sens possibles:

• 25 + 2/3 + 1/7

  • (5 + 2/3) + (2 + 1/7)
  • (5 + 2/3) x (2 + 1/7)

Le trait horizontal entre le numérateur et le dénominateur apparaît dans l'ouest du monde arabe, au Maghreb, chez al-Hassar (XIIe siècle). Il sera conservé par la suite.

Un certain symbolisme, avec trait, se développe pourtant, particulièrement au Maghreb, mais il reste des ambiguïtés.

Deux interprétations
• a/b(p + (c/d))
• (a/b)p + c/d

 

La multiplication de a/b par c/d.

 

 

Opérations sur les fractions

Sept opérations (en Orient) sur les entiers étendues aux fractions : addition, soustraction, duplication, dimidiation, multiplication, division , racine nième.

Puis les opérations spécifiques sur les fractions : conversion (transformer une fraction en une autre ayant un dénominateur donné, utile pour les opérations commerciales), simplification, comparaison, réduction au même dénominateur.

La présentation de ces opérations se fait dans de multiples sections, sans utiliser la réduction au même dénominateur pour simplifier les choses. Notez que la somme d'un entier et d'une fraction est considérée comme différente de la somme d'une fraction et d'une fraction. D'où le besoin de plusieurs sections différentes.

Dans les livres, principalement au Maghreb, on commence le plus souvent l'étude des opérations des fractions par la multiplication. Cette tradition a été introduite par al-Khwarizmi.

Les règles pour les opérations d'addition et de division sont les suivantes:

Remarquons que l'addition ne demande pas d'avoir le plus petit commun multiple, mais simplement le dénominateur commun le plus naturel, celui issu du produit des dénominateurs des fractions additionnées. La division correspond à mettre les deux fractions sur ce même dénominateur commun et, alors, à diviser les numérateurs.

La règle de division comme le produit de l'inverse du diviseur apparaît aussi au Maghreb, chez MunCim (XIIIe siècle ??) Voici la démonstration qu'il donne de cette règle :

Soit e = a/b, et r = g/d, on a e/r = e(bd)/r(db). Mais eb = a et rd = g, donc e/r = ad/bg.

 

Les fractions décimales

(Informations et illustrations tirées de R. Rashed, Entre artithmétique et algèbre, Recherches sur l'histoire des mathématiques arabes, Paris : Belles-Lettres, 1984, pp.122-139, 143, 144 et 127.)

Usage local de fractions où 10 jouent un rôle important, mais où les décimaux sont comme un artifice de calcul.

La règle des zéros : (a)1/n = (ax10nk)1/n/10k, pour k = 1, 2, …

Mais on transforme les réponses en fractions sexagésimales, ou en une forme non décimale.

Example :

    • al-Uqlidisi (952) : pour dire une réponse trouvée en décimale 0,59375, dira 59 375 de cent mille. « Son rapport est dit un demi plus un demi huitième plus un quart de huitième. »
    • as-Samawal transforme, avant son traité de 1172, la racine carré de 1020 (31,937) en 31 + 1/2 + 2/5 + 1/5 x 1/10 + 1/10 x 1/10 + 1/2 x 1/10 x 1/10 + 1/5 x 1/10 x 1/10)

Le courant arithmético-algébrique : Al-Karagi (953-1029) et as-Samaw'al (v. 1130-1180)
Invention des fractions décimales

  • Al-Karagi : développement d'une arithmétique de l'inconnue
  • As-Samawal, un disciple d'al-Karagi, dans son traité Traité d'arithmétique (1172), consacré à l'extraction des racines et la résolution par approximation des équations algébriques.
  • Dans le cadre de l'étude des ces techniques d'approximation, naîtront les fractions décimales.

    Voyons d'abord comment les polynômes étaient représentés.

    Considérons le tableau suivant :

    5
    4
    3
    2
    1
    0
    1
    2
    3
    4
    5
    x5
    x4
    x3
    x2
    x1
    x0
    1/x1
    1/x2
    1/x3
    1/x4
    1/x5

     

    En écrivant le coefficient des puissances de l'inconnue dans les colonnes correspondantes, on peut écrire une expression comme 3x2 + 5 + 1/x, ainsi :

    2
    1
    0
    1
    2
    3
     
    5
    1
     

    Dans ce contexte, la règle des exposants, correspondant à xnxm = xn+m, s'énonce ainsi :

    « Si les deux puissances sont de part et d'autre de l'unité, à partir de l'une d'elles nous comptons en direction de l'unité, le nombre des éléments du tableau qui séparent l'autre puissance de l'unité, et le nombre est du côté de l'unité. Si les deux puissances sont du même côté de l'unité, nous comptons en direction opposée à l'unité. »

    La dernière section du traité est consacrée à cette nouvelle forme de calcul. Elle est intitulée :
    « Au sujet de la position d'un principe unique par lequel on peut déterminer toutes les opérations de la partition (al-Tafriq) qui sont la division, l'extraction de la racine carrée, l'extraction d'un côté par toutes les puissances, et la correction de toutes les fractions qui apparaissent dans ces opérations, indéfiniment. »

    En identifiant les unités la puissance zéro de l'inconnue, as-Samawal peut énoncer cette règle et même l'étendre au cas où x n'est pas une inconnue mais une valeur numérique… comme 10. Par le transfert des règles comme celle-ci des polynômes aux tableaux à base 10, il obtient un système permettant de calculer avec les décimaux.

    0 : parties des unités
    1 (à droite) : parties des dizaines
    1 (à gauche) : parties des dizaines (en fait les dixièmes)

    Voici la racine carré de 10 :

    Pour prononcer les fractions, il les ramène à une fraction sur le dénominateur de la plus petite fractions décimale. Ainsi, la racine carré de 10 se lit 3 unités plus 162277 parties de 1 000 000 parties. (À la façon habituelle de nommer les fractions chez les Arabes). Dans la notation, il sépare la partie décimale de la partie entière par un signe, comme une barre verticale.

    On voit donc que les fractions décimales viennent de la pratique des opérations sur les polynômes exprimés sous forme de tableaux.

Après as-Samawal, vers al-Kashi (1436-7)

Il est difficile de savoir quel a été l'influence des fractions décimales d'as-Samawal. On sait toutefois qu'elles étaient utilisée par les comptables des administrations de Tunis, probablement au XIVe siècle ou au début du XVe siècle.. C'est toutefois un exemple documenté unique. En était-il de même dans d'autres administration ? D'ailleurs, il n'est pas certain que l'usage des fractions décimales aient été fait avec les même outils que ceux d'as-Samawal et al-Kashi. (Djebbar, A., Le traitement des fractions dans la tradition mathématique médiévale du Maghreb, Prébublications, Université de Paris-Sud, Mathématiques, 90-04, p. 28-29)

Toutefois, dans le livre Clé d'Arithmétique (1436-7) d'al-Kashi , les fractions décimales sont non seulement abordées, elles sont aussi nommées (al-Kusur al a'shariyya), ce que n'avait pas fait explicitement as-Samawal. Al-Kashi se sert aussi des fractions décimales dans sont Traité sur la circonférence du cercle pour approximer Pi, à 16 décimales près. Au-delà des noms données à ces fractions, deux nouveautés, par rapport à as-Samawal, marque le travail d'al-Kashi :

  1. Une analogie explicite et détaillée est faite avec les fractions sexagésimales
  2. Les fractions décimales ne servent plus simplement à approximer les racines, mais aussi les nombres réels, comme Pi.

4. L'algèbre arabe

    • La tradition du calcul des héritage:
      • Le Coran, Sourate 4, v. 11 et 12 (de http://callisto.si.usherb.ca/~amus/coran/4.html)

        11. Voici ce qu'Allah vous enjoint au sujet de vos enfants : au fils, une part équivalente à celle de deux filles. S'il n'y a que des filles, même plus de deux, à elles alors deux tiers de ce que le défunt laisse. Et s'il n'y en a qu'une, à elle alors la moitié. Quant aux père et mère du défunt, à chacun d'eux le sixième de ce qu'il laisse, s'il a un enfant. S'il n'a pas d'enfant et que ses père et mère héritent de lui, à sa mère alors le tiers. Mais s'il a des frères, à la mère alors le sixième, après exécution du testament qu'il aurait fait ou paiement d'une dette. De vos ascendants ou descendants, vous ne savez pas qui est plus près de vous en utilité. Ceci est un ordre obligatoire de la part d'Allah, car Allah est, certes, Omniscient et Sage.

        12. Et à vous la moitié de ce laissent vos épouses, si elles n'ont pas d'enfants. Si elles ont un enfant, alors à vous le quart de ce qu'elles laissent, après exécution du testament qu'elles auraient fait ou paiement d'une dette. Et à elles un quart de ce que vous laissez, si vous n'avez pas d'enfant. Mais si vous avez un enfant, à elles alors le huitième de ce que vous laissez après exécution du testament que vous auriez fait ou paiement d'une dette. Et si un homme, ou une femme, meurt sans héritier direct, cependant qu'il laisse un frère ou une soeur §, à chacun de ceux-ci alors, un sixième. S'ils sont plus de deux, tous alors participeront au tiers, après exécution du testament ou paiement d'une dette, sans préjudice à quiconque. (Telle est l') Injonction d'Allah ! Et Allah est Omniscient et Indulgent.

      • Un problème et sa solution
    •  

      Un musulman décède en laissant sa femme et ses deux filles, ainsi que son père et sa mère. Selon les prescriptions du Coran, les biens du défunt devraient être réparti ainsi :
      Épouse le huitième
      Mère le sixième
      Père le sixième
      Les filles les deux tiers.
      Mais la somme de ces fractions (27/24) dépasse l’unité. Que faire ?
      Le compromis proposé est de diviser l’ensemble de l’héritage en 27 parts et de les répartir ainsi :
      Épouse 3 parts
      Mère 4 parts
      Père 4 parts
      Les filles 16 parts
      .

      Est-ce une bonne solution ?

    • La résolution des équations : Précis sur le calcul de al-jabr et al-muqabala

       

      Pour se ramener à une forme connue :

      2x2 + 100 - 20x = 58

      Donne par al-jabr (remplissage, restauration)
      2x2 + 100 = 20x + 58

      puis par al-muqabala (balancement, comparaison)
      2x2 + 42 = 20x

      et par division par deux x2 + 21 =10x

       

    • Les six types canoniques pour résoudre les équations
    • 1) ax2 = bx 4) ax2 + bx = c
      2) ax2 = c 5) ax2 + c = bx
      3) bx = c 6) bx + c = ax2

       

      Djebbar propose de parler plutôt, pour 6 par exemple, de
      « b fois racine de x carré + c = ax »

      (Figure ci-contre : Ahmed Djebbar, Le nombre, la racine et le bien, in Cahier de Science & Vie, No 56, avril 2000, 45. )

       

    • Exemple de problème du cinquième type ( A.P. Youschkevitch, Les mathématiques arabes (VIIIe - XVe siècles), Paris : Vrin, 1976.)
    • Quel sera le montant d'argent (mal) qui lorsqu'on lui ajoute 21 dirhams équivaut à 10 racines de ce montant ?

      Divise en deux les racines, ce qui donne 5; multiplie 5 par lui-même, tu obtiens 25; retire les 21 qui sont ajoutés au carré; il reste 4; extrais la racine - cela donne 2 - et retire-la de la moitié de la racine, c’est-à-dire de 5; il reste 3; c’est la racine du carré que tu cherches et le carré est 9. Si tu le désires, ajoute cela à la moitié de la racine, ce qui donne 7, qui est la racine du carré que tu cherches et dont le carré est 49. Si tu rencontres un problème qui se ramène à ce cas, examine alors sa justesse à l’aide de l’addition; si tu ne le peux, tu obtiendras certainement (la solution) à l’aide de la soustraction. Parmi les trois cas dans lesquels on doit diviser en deux les racines, c’est le seul où l’on se serve de l’addition et de la soustraction. Sache en outre que si dans ce cas, tu divises en deux la racine, que tu la multiplies par elle-même et que le produit soit plus petit que les dirhams qui sont ajoutés au carré, alors le problème est impossible. Mais s’il est égal aux dirhams, la racine du carré est égale à la moitié de la racine, sans qu’on ajoute ou retire quoi que ce soit.

    • Les démonstrations de la justesse des règles de résolution (cinquième type)

      (p-x)x = q

      q + carré bleu = (p/2)2,
      d'où le côté du carré bleu est p/2 - x

      (p-x)x = q

      q + carré bleu = (p/2)2,
      d'où le côté du carré bleu est x - p/2

      Troisème cas : x = p/2.(Quoi faire avec ?)

       

    • Mots provenants d'al-Khwarizmi : algèbre, algorithme,
    • Abu Kamil (v. 850-930), premier disciple d'al-Khwarizmi
      • Utilisation des irrationnels. Ex. ¯a ±¯b = ¯(a+b ± 2¯ab)
      • Non respect de l'homogénéité des expressions

     

  • Le courant arithmético-algébrique : Al-Karagi (953-1029) et as-Samaw'al (v. 1130-1180)

    • Al-Karagi : développement d'une arithmétique de l'inconnue
    • As-Samawal, un disciple d'al-Karagi (Illustrations tirées de R. Rashed, Entre arithmétique et algèbre, Recherches sur l'histoire des mathématiques arabes, Paris : Belles-Lettres, 1984, p. 143, 144 et 127.)

     

  • Le courant gréométrico-algébrique : al-Khayyam (1048-1131) carte

    La résolution des équations du troisième degré par l'intersection de courbes.

    Amy Dahan-Dalmedico, Jeanne Peiffer, Routes et Dédales, Paris, Montréal : Études Vivantes, 1982, p. 88.

Notation maghrébine (Le manuscrit mathématique de Jerba, par Mahdi Abdeljaouad)

Haut de la page