Il convient de préciser tout de suite que les mathématiques sont avant tout une langue écrite. Cela tient à leur densité de sens, à leur exigence de précision, à leur caractère très discursif et à la nature abstraite de leurs objets qui justement ne peuvent se matérialiser que dans l'écriture. En mathématiques, l'écriture est beaucoup plus qu'un support commode; elle est la condition première de la pensée et la voie d'exploration irremplaçable de toute recherche. …
La métaphore des langues ne rend compte que partiellement de la nature des mathématiques. Tout d'abord, les mathématiques ne sont qu'à un faible degré une langue de communication: il est vrai que tout texte mathématique est susceptible d'être lu, c'est même sa destination finale, mais cette lecture est toujours laborieuse – autrement dit la communication mathématique est réelle mais lente et difficile – et surtout l'écriture mathématique est faite pour l'exploration. Le mathématicien écrit d'abord pour lui-même et pour la vérité. D'autre part, les mathématiques sont moins une langue que la recherche d'une langue, et la remise sur le métier jamais lassée d'une version approchée, toujours raffinée et enrichie de cette langue idéale.

Les mathématiques sont-elles une langue? par Laurent Lafforgue (mathématicien)
www.ihes.fr/~lafforgue/textes/LangueMathematique.pdf