Les fractions en Europe
(tiré de Smith, D.E., History of Mathematics,
t. 2, pp.213-247 )
Les fractions ordinaires
Le symbolisme
Nous avons vu que les Arabes du Maghreb avaient
introduit la notation de fraction avec le numérateur au-dessus
du numérateur, avec une barre entre les deux. Cette pratique
se répandra aussi en Europe au Moyen Âge. Lorsqu'apparaît
l'imprimerie (1446, premier livre imprimé) la barre est
parfois omise, à cause des difficultés techniques reliées à
l'impression. Ce sont les même raisons qui ont pousser les
auteurs à utiliser la notation avec la barre oblique (ex.
2/3). La barre horizontale est parfois utilisée avec des
nombres romains.
(Smith, D.E., Hist. of Mathematics, t.
2, p. 217. Köbel, Rechen biechlin, 1514, ici éd. de
1518)
Remarquez la notation pour les centaines.
Dénomination
Le mot fraction réfère à l'idée de briser,
fractionner. Cette idée remonte aux Égyptiens. En Europe, on a
utilisé ce terme, en latin, dès le XIIe siècle.
Auparavant, on rencontre le terme Minutiis ou Minuciae,
minutes. Les deux termes seront employés indifféremment
pendant le Moyen Âge. D'autres expressions sont aussi
utilisées : nombres routz (Chuquet,
1484) par exemple, ou nombre rompu.
Séquence pour l'enseignement des opérations sur
les fractions
Au Moyen Âge et à la Renaissance, souvent on
suit l'ordre suivant : Numération (des fractions),
multiplication, division, réduction, addition , soustraction.
Opérations sur les fractions
- Addition : Comme chez les Arabes, mettre sur
un dénominateur commun qui est le produit des dénominateurs
des deux fractions. Ce ne fut qu'au XVIIe
siècle que l'usage de réduire au plus petit commun
dénominateur s'est répandu.
Voici un exemple (Smith, D.E., p. 224) :
calculer 5/6 + 3/8 :
(en fait 1 5/24). Cet exemple est tiré de l'édition de 1494
de la Summa de arithmetica, geometrica, proportioni e
proportionalita de Pacioli
(1445-1517)
Exercice : Pouvez-vous interpréter l'exemple de Pacioli ?
- Multiplication : Notre méthode (multiplier les
numérateurs et les dénominateurs) a été utilisée depuis les
Arabes.
Il y a eu des discussions sur le fait que, contrairement à la
multiplication par un nombre, la multiplication par une
fraction (inférieure à un) a un résultat inférieur au
multiplicande. Par ailleurs, il y a peu de tentatives
d'explication de la validité du processus de multiplication.
Il est intéressant de noter l'influence des
Grecs sur la perception qu'on avait en Europe de la façon de
faire une division. Ainsi, au lieu de faire directement 3/5
÷ 4, on calcule plutôt 3/5 x 1/4, de façon à opérer sur des
objets de même nature, un fraction n'étant pas conçu de même
nature qu'un nombre entier.
- Division :
- Deux méthodes étaient principalement
employées jusqu'à la fin de la Renaissance
- Celle des Arabes (réduire au même
dénominateur puis diviser les numérateurs)
- La multiplication en croix (1545) :
(Smith. D.E., Hist. of Mathematics, t. 2, p.
227. Manuscrit anonyme datant de 1545.)
Exercices : Pouvez-vous reconnaître les
nombres qui apparaissent dans ces exemples ? Quels
rapprochements peut-on faire avec l'exemple de Pacioli
ci-dessus ?
- Après la Renaissance : Multiplication par
l'inverse
Déjà présente chez les Arabes du Maghreb,
elle revendra en Europe avec Michael
Stifel, en 1544, mais ne sera utilisée plus largement
qu'à partir du XVIIe
siècle.
Les fractions décimales
Les antécédents
Pour le commerce, les fractions ordinaires et
leur notation semble avoir été suffisant au Moyen Âge et à la
Renaissance. Les fractions impliquées n'étaient jamais très
compliquées, numérateur et dénominateur à trois chiffres au
maximum. Toutefois, les maîtres d'abaque de la Renaissance,
avec leur besoin de se démarquer de leurs collègues, font
référence dans leurs traités à des fractions de plus en plus
complexes, avec des numérateurs et dénominateurs de plus de 10
chiffres parfois.
La règle des zéros : Comme chez les
Arabes, on trouve des mathématiciens qui utilisent la règle
des zéros pour extraire des racines (voir la règle
des zéros), comme dans la table des racines carrées
d'Adam Reise publiée en 1522, dont les valeurs des racines
doivent être divisées par 1000 pour correspondre à la valeur
véritable des racines. (Pouvez-vous interpréter la table ? ) :
(Smith, D.E., History of Mathematics,
t. 2, p. 237)
Ce genre d'utilisation de la multiplication par
10 se retrouve aussi dans les tables de trigonométries
calculer à partir de cercles de rayons de la forme 60 x 10n.
La règle de
division de Regiomontanus
(1436-1476). Un règle pour diviser les nombres de la forme a x
10n.
C'est en donnant des exemples de cette règle que Pellos, en
1492, utilise un point pour séparer la partie décimale de la
partie entière. Mais ce n'est pour lui qu'un artifice qui
n'aura pas de suite. D'ailleurs, les réponses ne sont pas
données sous une forme de fractions décimales.
Exercice : en examinant la page illustrée
ci-dessous, trouvez comment fonctionne la division de
Regiomontanus.
(Smith, D.E., History of Mathematics,
t. 2, p. 239)
L'introduction des fractions décimale en Europe
Nous avons vu règle
des zéros que les Arabes ont inventé les fractions
décimales. Un usage systématique des fractions décimales en
Europe ne se présente qu'au XVIe
siècle, avec Christoff
Rudolff (1499-1545), dans son Exempel Büchlin de
1530, où il traite de problèmes d'intérêt composé. Ici, la
barre est utilisée pour séparer la partie entière de la partie
fractionnaire. Mais son travail n'est très apprécié et l'usage
des fractions décimale reste très marginal.
L'oeuvre maîtresse pour la popularisation de
l'usage des fractions décimales est celui de Simon
Stevin (1548-1620), La Disme, paru en 1585
d'abord en flamand puis, la même année, en français. En voici
un extrait de la première page de la version française
(version de 1634).
La notation de Stevin s'inspire de
celle qu'il utilise en algèbre, comme on le constate dans
l'extrait suivant (toujours de 1634) :
Ce symbolisme ne fut toutefois pas très
populaire. On le trouve tout de même dans une traduction
flamande de 1626 d'un livre de Napier.
Le point décimal commencent à être
utilisé vers la toute fin du XVIe
siècle. Le point de Pellos (voir ci-haut)
ne peut être considérer comme un véritable point décimal,
n'étant pas intégré à une véritable pratique de la fraction
décimale. Certains auteurs du XVIIe
siècle attribuent le premier usage du point décimal à Joost
Bürgi (1552-1632). Un de ses manuscrits de 1592 nous
font voir un usage systématique du point décimal. Mais c'est
avec le XVIIe
siècle que son usage se répand. On le rencontre en 1612 dans
les tables trigonométriques de Pitiscus
(1561-1613), l'inventeur du mot trigonométrie. Napier sera
celui par qui l'usage du point se répand, à cause de la
dissémination des calculs à l'aide des logarithmes. Néanmoins,
beaucoup d'autres symbolisme sont simultanément utilisés,
particulièrement certains issus de la notation des fractions
sexagésimales appliquée aux fractions décimales (ex.
314,1'5''9'''2''''6'''''5'''''', pour notre 314,159265. Johan
Hartmann Beyer (1563-1625) en 1616 dans une lettre à Kepler).
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