École platonicienne : le monde des idées, Platon (~-427, ~-347)

En 387 av. J.C., Platon, un temps militaire, un temps politique, fonde l’Académie, du nom du légendaire Academus à qui aurait appartenu autrefois le terrain sur lequel l’école est construite. Cette école, il faudrait plutôt parler d’université, connaîtra une très longue vie puisqu’elle ne sera fermée qu’en 529 ap. J.C. Ce fut le grand empereur byzantin Justinien qui ordonna de la fermer, donnant ainsi le coup de grâce au dernier centre du paganisme antique. Au-dessus de la porte de son école, Platon fait inscrire : «N’entre pas ici qui ne connaît pas la géométrie». C’est que le grand philosophe considère la géométrie comme un paradigme de connaissance. Pour comprendre pourquoi, voyons ce sur quoi repose la philosophie de Platon. [1]

  1. Il y a des modèles absolus (Formes, Essences, Idées, Universaux) qui existent pour tout homme et à toute époque, indépendamment de l’opinion des hommes à leur sujet.
  2. Ces formes sont non seulement des productions de la pensée. Elles existent  aussi dans un monde indépendant de monde spatio-temporel.
  3. Le monde spatio-temporel est le domaine du devenir, du changement, du mouvement. De ce monde, nous ne pouvons avoir que des impressions, mais non des connaissances. On ne peut connaître que ce qui ne change pas, c’est-à-dire les formes, car la vérité est éternelle.
  4. Les formes sont le principe explicatif des choses du monde spatio-temporel : de façon descriptive en ce sens qu’elles seules sont connaissables, de façon prescriptive en ce sens qu’un objet est d’autant plus parfait qu’il imite la forme à laquelle il doit correspondre.
  5. La connaissance des formes ne peut pas être obtenue par l’expérience des sens, mais plutôt par la raison. (La doctrine de la réminiscence et le mythe de la caverne: avant la naissance, l’âme était en contact avec le monde des Idées, après la naissance, elle oublie et se trouve enfermée dans un corps, un peu comme un homme enfermé dans une caverne qui, faisant dos à l’entrée, ne voit pas directement les objets extérieurs [les idées] mais seulement leurs ombres [le monde spatio-temporel].)


Autrement dit, en simplifiant, l’on peut dire que Platon croit en l’existence de deux mondes. Le monde spatio-temporel, dont nous faisons partie, est continuellement en changement. Rien n’y est stable. Tout bouge, se modifie, se dégrade. Le monde des Idées (ou des formes) constitue un univers marqué au sceau de la stabilité. Tout y est éternel, parfait. À quoi sert de connaître un objet du monde spatio-temporel? L’objet, dont on connaît les caractéristiques à un moment donné, se déforme et se modifie continuellement. À l’instant suivant, il diffère de ce qu’il était à l’instant précédent. Par contre, les Idées peuvent, par leur permanence, faire l’objet de la connaissance. L’expérience et l’observation ont donc un rôle très secondaire dans la quête de la connaissance. La pensée seule est l’outil véritable de la connaissance.

Dans cette perspective, il n’y a a priori  aucune raison de croire à l’existence d’un lien entre le monde spatio-temporel et celui des Idées. Platon croit qu’il y a tout de même un lien. Le monde réel se dégrade progressivement. Cependant, régulièrement, le monde des Idées vient s‘accoler au monde réel pour lui redonner une structure. C’est un peu comme si une matrice ou un moule venait redonner une forme à un bloc de gélatine qui commencerait à s’affaisser dès qu’il serait laissé à lui-même.

La géométrie appartient essentiellement au monde des Idées. Le cercle n’existe pas dans notre monde imparfait. Il est le lieu des points équidistants d’un point central appelé le centre du cercle. Les cercles que nous traçons ont tous une épaisseur. Les points réels qui le forment occupent une partie de la surface du plan sur lequel il est tracé. Ces points sont de plus à des distances légèrement différentes du centre. Le cercle réel ne correspond pas au cercle idéal. Toutefois, par la géométrie, nous pouvons connaître les propriétés du cercle. Ainsi, la géométrie permet d’établir un lien entre le réel et le monde des idées. Mais surtout, l’apprentissage de la géométrie constitue un moyen d’apprendre à se «souvenir» des objets géométriques idéaux. Il a un rôle pédagogique central. C’est pourquoi Platon a inscrit sa célèbre phrase au-dessus de la porte principale de son école.

Cinq remarques en terminant :

  1. Pour atteindre une véritable connaissance du monde des idées, le raisonnement déductif est l’outil par excellence.

  2. Comme nous l’avons vu, le cercle et la sphère sont des figures invariables par rotation autour de leur centre. Ils changent et ne changent pas à la fois. Platon accentue leur importance en astronomie. Inspiré par l’école pythagoricienne, il conçoit les planètes comme des êtres parfaits. Il est alors normal que les planètes aient des orbites circulaires à l’intérieur de sphères cristallines. Le dogme platonicien de la perfection des planètes et de leurs orbites se révélera un obstacle difficile à surmonter même pour les astronomes de la Renaissance.

  3. La géométrie est remodelée par les géomètres platoniciens pour lui donner une structure déductive. Cette structure, portée à son sommet par Euclide à l’époque hellénistique, demeure un modèle de théorie mathématique  même aujourd’hui.

  4. La dichotomie entre l’arithmétique et la géométrie s’accentue avec Platon. Platon considère que toute connaissance doit être recherchée pour sa valeur intrinsèque et non pour son application pratique. L’arithmétique des marchands devient dans ce contexte un sujet à éviter.

  5. L’école platonicienne considère remarquable le fait, prouvé en partie par les pythagoriciens, qu’il n’y a que cinq polyèdres réguliers (le tétraèdre, l’hexaèdre [le cube], l’octaèdre, le dodécaèdre et l’icosaèdre). Les trois premiers représentent et le dernier représentent les quatre éléments de base (le feu, la terre,  l’air et l’eau) alors que le quatrième représente l’éther. Ces cinq polyèdres sont depuis appelés les solides platoniciens.

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[1] Inspiré de Shapere, Dudley, Galileo, A philosophical Study, Chicago : Chicago Un. Press, 1974.