Du monde arabo-musulman à la Renaissance : Religion et marchands
L'astrolabe [1]
Complément : Voir une étude géométrique de l'astrolabe
Fonctions d’un astrolabe
L’astrolabe est un instrument astronomique et à usages multiples : déterminer les coordonnées locales, déterminer une direction, connaître l’heure à un instant donné, calculer l’heure d’un événement tel que le lever et le coucher du soleil, déterminer les horaires de prières, faire des calculs trigonométriques, etc. Son principe consiste à reproduire une image de la sphère céleste sur un plan en s’appuyant sur « la projection stéréographique ». L’utilisation de l’astrolabe se fait par des visées, des manipulations, des lectures et des calculs.
Historique
Le mot astrolabe vient du grec. Il signifie « preneur d’étoiles ». Quoique l’astrolabe soit connu des Grecs, c’est pendant la civilisation arabo-musulmane qu’il s’est développé. Une des motivations est d’ordre religieux ; les musulmans, où qu’ils soient, doivent avoir la face dirigée vers la Mecque pour faire leurs prières et les horaires des prières sont déterminés par des phénomènes astronomiques tels que le lever et le coucher du soleil. Ces règles obéissent à des contraintes spatio-temporelles (longitudes, latitudes, saisons, etc.). L’astrolabe a aussi été utilisé en astrologie. Les astrolabes arabes sont connus par leurs ornements et leur architecture, en particulier la mère et l’araignée. Ils sont illustrés par des calligraphies de versets coraniques ou de prières.
Composants de l’astrolabe
- La mère ou umm (en arabe) : le support fixe de l’astrolabe, c’est lui qui supporte les tympans. Sur le dos de la mère sont gravés des quadrants qui permettent de mesurer des hauteurs d’étoiles à l’aide de l’alidade ou de faire des calculs trigonométriques.
- Le tympan ou safihah (en arabe) ou Saphaea (en latin) : plaque amovible relative à une localité donnée. Elle se fixe sur le fond de la mère, le nord vers le haut de celle-ci (parfois il y en a un au fond de la mère). En principe, il faut un tympan pour chaque latitude.
- L’araignée ou rete (en Europe) ou ankabut (en Orient) : pièce circulaire reproduisant la représentation de la sphère céleste. Elle peut tourner autour d’un gougon pour s’accorder avec la localité donné.
- L’alidade (au dos de l'astrolabe) : pièce forgée à pinnules qui se fixe autour de l’axe au dos de l’astrolabe. Elle permet de mesurer la hauteur d’une étoile ou du soleil à un moment donné. Les mesures ainsi relevées servent pour accorder l’araignée.
Le tympan est amovible. Il dépend de la latitude de la position de l'observateur. On y voit les cercles des tropiques (Cancer vers le centre et Capricorne tout au bord) et celui de l'équateur. L'araignée tourne. Elle représente le ciel avec des étoiles visibles et le cercle de l’écliptique, ici avec les signes du zodiaque, montrant les positions du Soleil tout au long de l'année. Le mouvement de rotation de l'araignée correspond au mouvement de la sphère des étoiles qui tourne sur son axe en 24 heures.
L'astrolabe : Projection vers le pôle Sud de la sphère armillaire sur le plan de l'équateur
Histoire
Les sources arabes du IXe siècle et byzantines du Xe siècle font
remontées les origines de l’astrolabe à l’époque hellénistique, plus
spécifiquement à Hipparque (actif entre 147 et 127 avant notre ère)
et surtout Ptolémée (v. 90 - v. 168). Dans son Planisphère, Ptolémée
étudie en particulier la projection stéréographique qui sert à
projeter, vue du pôle Sud, la sphère des étoiles sur le plan de
l’équateur, celle-là même utilisée dans la construction de la très
grande majorité des astrolabes. Toutefois, rien n’indique que
l’instrument lui-même fut vraiment construit à cette époque. Ces
mêmes sources mentionnent que Théon d’Alexandrie (v. 335 - v.405;
père de la mathématicienne Hypatie) aurait écrit un mémoire sur
l’astrolabe. Le texte le plus ancien, qui nous est conservé,
décrivant en détail l’instrument en plus de diverses façons de
l’utiliser est le Traité de l’astrolabe de Jean Philipon, ayant vécu
à Alexandrie vers 550.[2]
On voit que déjà l’organisation de la face principale, avec la mère,
le tympan et l’araignée est bien établie.
Le monde arabo-musulman ne modifiera pas de façon important la face
principale. Son apport se verra surtout à l’endos. Ainsi, selon
al-Biruni 9973-1048), ce fut al-Khwarizmi (v. 780 - v. 850) qui
plaça sur l’endos des astrolabes un carré des ombres. Les musulmans
trouvèrent dans l’astrolabe un instrument qui leur permettait de
résoudre des problèmes tels que la détermination des heures des
prières quotidiennes, mais aussi des questions d’astrologie. Ceci
explique leur intérêt pour cet instrument dès les débuts de la
civilisation arabo-musulmane. Avant 815, l’astrologue Masha’allah
avait écrit le premier traité arabe connu sur l’astrolabe. As-Sufi
(903-986) rédigera aussi un tel traité mais vraiment complet. Les
astrolabes les plus anciens proviennent de la Syrie du IXe
siècle.[3] L’al
Andalous sera un centre de production de l’astrolabe aux Xe
et XIe siècle. Au XIe siècle, à Tolède, deux
astronomes travaillent sur un astrolabe d’un genre nouveau, un
astrolabe universel qui peut être utilisé sous toutes les latitudes.
Il s’agit d’Ali ben Khalaf ben Ahmar et, plus connu, Ibn
Az-Zarquellu (dont le nom a été latinisé en Azarquiel ou Arzarquiel)
(v. 1029 - 1087). Le traité de ce dernier sera traduit en hébreu
puis, en 1263, en latin par l’astronome juif Ibn Tibbon, connu aussi
sous le nom latin de Profatius.[4]
Les deux siècles suivants, ce centre se déplacera vers le Maroc, en
particulier Marrakech et Fès. Les astrolabes, dont les plus beaux
sont sans doute les astrolabes perses, resteront en usage dans le
monde arabo-musulman jusqu’au début du XXe siècle, comme
à la mosquée Qaraouiyine de Fès pour déterminer le début du Ramadan.[5]
L’introduction de l’astrolabe en Europe s’est faite principalement
par l’Espagne. À la fin du premier millénaire, le comté de Barcelone
est une interface active entre le monde musulman et l’Europe.
Gerbert d’Aurillac (945-1003) (le pape Sylvestre II de 999 à 1003) a
étudié le premier traité latin sur l’astrolabe écrit par Llobet de
Barcelone, l’un des premiers traducteurs de textes arabes en latin.
Peut-être Gerbert écrivit-il lui-même un traité sur cet instrument.
Peu après, Herman le Boiteux (1013-1054), abbé du monastère de
Reichenau en Allemagne, écrit un traité qui aura une grande
influence. Par la suite, au XIIe siècle, une certaine
activité se développe autour de l’École de Chartre, qui établit des
contacts avec les traducteurs de Tolède. Ainsi, s’établit une
véritable tradition européenne de l’astrolabe, bien sûr fortement
influencée par la tradition andalouse et marocaine, comme le montre
le premier traité véritablement original de Raymond de Marseille
dans lequel on aborde les corrections à apporter pour ternir compte
de la précession des équinoxes. Au XIIIe siècle, Alphonse
X le Sage, roi de Castille et de León de 1252 à 1284, a permis, par
son soutien actif aux sciences, de consolider les connaissances des
chrétiens sur l’astrolabe. La filière juive, avec Ibn Tibbon puis
Levi ben Gerson (1288-1344) et d’autres, a aussi contribué à
répandre l’usage de l’astrolabe en Europe.[6]
Notons que les noms arabes de nombreuses étoiles ont été adoptés
par les Européens à cause de l’usage des astrolabes.
À la Renaissance, la production des astrolabes semble avoir connu un
sommet au milieu du XVIe siècle. L’usage des astrolabes
évolue à cette époque, devenant davantage un instrument de mesure
terrestre qu’auparavant. En effet, comme on le voit dans la deuxième
partie du très influent traité sur l’astrolabe de Johann Stöffler [7],
cet instrument est utilisé pour la mesure des grandeurs
inaccessibles, pour la perspective, l’art de la guerre et, plus
généralement, la connaissance des lieux. La production d’astrolabe a
été fortement influencée par ce qu’on peut appeler l’école de
Louvain.[8] Les
élèves de Gemma Frisius (1508-1555) qui se sont distingués sont Juan
de Rojas Sarmiento (XVIe s.), qui a perfectionné l’astrolabe
universel, Walter Arsenius (prod 1554-1574), le neveu de Frisius,
qui a fabriqué des astrolabes esthétiquement remarquables et
Mercator (1512-1594). Il est possible que Thomas Gemini (prod.
1524-1562), qui s’installa à Londres, travailla dans l’atelier de
Frisius, duquel Arsenius pris la relève à la mort de celui-ci. Par
Gemini, l’école de Louvain influença la fabrication d’instruments en
Angleterre. Mentionnons que l’astrolabe est considéré comme ayant eu
une influence sur le développement de la perspective.
La popularité des astrolabes a été accentuée par la publication
d’astrolabes imprimés sur du papier. Georgh Hartman (1489-1564), de
Nuremberg, popularisa ce genre d’astrolabe entre 1531 et 1540. Le
changement du calendrier julien au calendrier grégorien en1582
entraîne le besoin d’avoir de nouveaux astrolabes.
[1] Les informations proviennent principalement de Demoriane, Hélène, L'art de reconnaître les instruments scientifiques du temps passé, Paris : Hachette, 1974, et surtout Dutarte, Philippe, Les instruments de l'astronomie ancienne de l'Antiquité à la Renaissance, Paris : Vuibert 2006, pp. 117-137.
[2] Une édition moderne de ce livre se trouve dans la collection de la bibliothèque du Musée Stewart de l'ile Sainte-Hélène, cote 522.4 P55.
[3] L'un d'eux est illustré dans le livre d'Hélène Demoriane (voir note 1), p. 24.
[4] Voir le livre de Philippe Dutarte (voir note 1), p. 173.
[5] Idem, p. 137.
[6]Au sujet de la filière juive, voir le livre de Dutarte et plus généralement celui d'Ahmed Djebbar, L'âge d'or des sciences arabes Paris : Éditions le Pommier, 2005, p. 161 et suivantes. Plus précis encore est le chapitre sur l'algèbre arabe en Europe dans le livre d'Ahmed Djebbar, L'algèbre arabe, genèse d'un art, Paris : Vuibert, 2005, p. 105-122.
[7] Titre de l’édition latine originale de 1512 : Elucidatio fabricae ususque astrolabii. L’édition française a pour titre Traité de la composition et fabrique de l’Astrolabe, et de son usage, Paris, 1560. Un version électronique de l’édition latine de 1513 conservée à la Bibliothèque de l’observatoire de l’Université de Vienne: http://www.univie.ac.at/hwastro/.
[8]Sur l’influence de Louvain dans la construction d’instruments, voir Turner, Anthony, Early Scientific Instruments, Europe 1400-1800, London : I. B. Tauris and Company Limited, 1987, p. 48-56. Les lignes qui suivent sont inspirées de Turner.